Entretien avec David Guiffard

Conseiller pour les arts plastiques, DRAC Normandie

Quelle définition donneriez-vous de votre rôle ?

Mes fonctions de conseiller pour les arts plastiques au sein de la DRAC couvrent la commande publique et le 1%. Mon principe est d’intervenir en amont. Le 1% relève d’une obligation légale de la maîtrise d’ouvrage publique mais comme cette loi ne prévoit pas de sanction, nous ne pouvons agir que par l’incitation. Régulièrement, nous adressons aux associations d’élus un courrier d’information sur le dispositif du 1% pour leur en expliquer les objectifs et le fonctionnement. Dans le texte de décret, il est stipulé que le commanditaire doit saisir la DRAC sur son désir d’œuvre artistique dès l’avant-projet sommaire (APS) de l’architecte. Les conseillers des DRAC sont présents au sein de tous les comités artistiques. Nous sommes également chargés de nommer deux personnalités qualifiées : l’une pour ses compétences sur l’art contemporain et l’autre comme représentant des organisations professionnelles artistiques. Ensuite la maîtrise d’ouvrage est en capacité de réunir son comité.

Comment aidez-vous les commanditaires à définir leurs souhaits ?

Ma première mission consiste à écouter. Je porte un regard neuf sur leur projet, je les interroge, je leur fais des suggestions, je cherche à les décaler de leur réalité pour ouvrir le champ d’intervention des artistes. Dans l’écriture du cahier des charges, j’incite les commanditaires à dire ce qu’ils veulent et ce qu’ils ne veulent pas, à exprimer leurs incertitudes, à livrer leurs questionnements aux artistes. Ce qui m’intéresse dans ces dispositifs, c’est la fonction sociale du dialogue engendré par l’œuvre d’art et la présence des artistes. L’art est inhérent à notre humanité, il est un lien essentiel. Je cherche à faire prendre conscience aux élus que, pour mener un projet avec un artiste qu’on ne connaît pas, dans un langage formel qui ne relève pas des mots, il faut construire ensemble les conditions d’un véritable échange afin que l’objet produit soit un objet auquel on adhère.

Comment se passe le choix de l’œuvre ?

L’accompagnement de l’État est un partage d’expertises, de l’ordre du conseil, de la pédagogie et du dialogue. Il faut faire un choix ensemble. Je joue la carte du participatif. En général je leur propose un protocole plutôt ludique : chaque membre du comité note de son côté les trois dossiers qu’il préfère puis on met les résultats en commun et chacun dit ce qu’il a apprécié ou non dans les projets évoqués. J’interviens en dernier car souvent les trois dossiers qui ressortent sont ceux que j’ai moi aussi préférés. Cela rassure les collectivités sur leur capacité à apprécier l’art, le défendre, etc. L’État est là pour les soutenir dans un processus qui leur appartient. Nous nous engageons dans une aventure où je les aide à traduire les informations et à faire les meilleurs choix. Mais ils restent maîtres d’ouvrage, je ne peux rien leur imposer. C’est un métier d’accoucheur où il faut tenir la main de gens qui n’ont parfois ni une connaissance ni une pratique affirmée en matière d’art.

Je me sers aussi de la méthode du 1% pour parler aux collectivités de la commande publique artistique. Car souvent les élus viennent nous voir une fois qu’ils ont déjà choisi leur projet de sculpture – généralement une fontaine – qu’ils veulent dresser sur la place de la mairie. Mais s’ils souhaitent bénéficier d’une aide financière de l’État, je leur recommande fortement de solliciter nos services dès le début. La plupart du temps, si nous ne partageons pas le processus, ils n’obtiennent pas de subvention. Une œuvre ne doit pas arriver « comme un cheveu sur la soupe », il faut construire un scénario dans le temps, avec des doutes, des questionnements, etc. Cela écrit une histoire qui permet à une œuvre d’exister dans l’espace public et d’être appréciée par la population.

Dans quels programmes le 1% est-il utilisé ?

Le plus souvent il est lié aux établissements scolaires. J’explique aux collectivités que ce budget peut correspondre à une part du second œuvre ou de l’aménagement car l’intervention peut concerner le design, la signalétique : une borne d’accueil, des stores, une mise en couleurs, un éclairage, la sonnerie de l’école. Il existe tout un domaine de création à la lisière entre l’architecture et l’œuvre d’art. Je sensibilise beaucoup mes collègues de la DRAC pour faire la promotion du 1%. Par exemple la conseillère Livre et lecture qui suit les chantiers de médiathèques ou le conseiller théâtre. Et après, je prends le relais. Je veille aussi toujours à inclure en amont mes collègues susceptibles d’être concernés par un projet. Par exemple, il m’arrive d’inviter l’architecte des bâtiments de France (ABF) dans un comité de pilotage pour qu’il prescrive des contraintes liées à la protection d’un lieu dans le cahier des charges ou juste pour qu’il attire l’attention des artistes sur l’histoire du bâtiment afin qu’ils l’intègrent dans leur réflexion. Cela évite de se retrouver avec un refus de l’ABF une fois que le projet est conçu.

Comment réagissent les architectes face au 1% ?

Je suis architecte de formation donc je connais bien leur sensibilité au sujet des interventions d’artistes sur leur travail. J’essaie de les faire adhérer au projet en insistant sur la parenté entre les métiers de plasticien et d’architecte : la création de formes réelles et concrètes dans l’espace présente des problématiques semblables, liées à la matérialité de l’œuvre. J’encourage un va-et-vient très libre entre eux, si bien que les architectes apportent souvent un vrai soutien à l’œuvre artistique. Certains deviennent même des promoteurs du 1% par la suite !

Comment abordez-vous le sujet de la médiation ?

J’en parle dès le début à la maîtrise d’ouvrage car idéalement elles doivent être traitées en amont avec l’artiste. Et une fois l’œuvre réalisée, je confie toujours la publication à l’artiste afin que lui aussi ait le sentiment de maîtriser son sujet jusqu’au bout. C’est intéressant car ils produisent des objets singuliers en accord avec l’ensemble de leur œuvre.

Votre région est-elle spécialement attachée au 1% artistique ?

En Normandie, qui reste une petite région, j’ai en permanence trois à quatre opérations de 1% en cours. Il y a des cas particulièrement assidus comme la commune de Livarot qui fait systématiquement appel au 1% pour tous ses projets : un EHPAD, la réhabilitation d’une usine en pôle santé, une médiathèque, un pôle petite enfance, etc. Depuis la réunion de la Normandie, le nouveau conseil régional a tendance à relayer ces opérations et à perdre la force d’entraînement qui a pu préexister. De surcroît, comme le 1% est à la seule charge de la collectivité, sans participation financière de l’État et que la conjoncture économique reste tendue, cela n’incite pas les élus à y avoir recours. Comme j’ai pu l’exprimer récemment devant le ministre de la Culture Franck Riester, le 1% reste une obligation non obligatoire… Sans la mise en place de leviers pour forcer cette injonction, les occasions de projets sont aléatoires alors que le 1% est fondamental pour les artistes sur le plan promotionnel et économique.

Dernière mise à jour le 21 décembre 2020