scars/sirens

Camille Benarab-Lopez
Exposition
Arts plastiques
GALERIE CHLOE SALGADO Paris 03
Photo Grégory Copitet pour GALERIE CHLOE SALGADO

L’exposition Scars/Sirens prend pour point de départ un livre de Joyce Caroll Oates, Nous étions les Mulvaney(1996), et un séjour de Camille Benarab-Lopez dans l’État de New York, retraçant le parcours fictif de cette famille typiquement américaine. Dans le roman, les Mulvaney forment une famille idéale et apparemment soudée, attachée à la terre autant qu’aux apparences de bonheur qu’ils exhalent. Mais le récit est celui d’une chute sociale qui s’effectue à l’extérieur et à l’intérieur même de la cellule familiale : les liens se fissurent et s’écartèlent en une plaie qu’aucun baume ne peut cicatriser. À la fois terribles et formidables, les Mulvaney sont dépeints dans toute leur complexité psychologique, tâchant de se maintenir dans une Amérique marquée par la tyrannie du paraitre. Le sens propre se confond rapidement avec le sens figuré : Oates - également l’autrice d’un autre ouvrage intitulé Les Chutes - donne comme théâtre du drame une région constellée par des chutes d’eau mythiques : des chutes d’Ithaca à celles, fameuses, du Niagara. La vie suit son cours tranquille jusqu’à ce qu’un fort dénivelé produise une descente abrupte, autrement dit une cataracte, terme qui désigne une opacification qui brouille à la fois l’eau ou le cristallin de l’œil. Au bruit de la cascade fait écho la détérioration de la vue. De plus, le radical cata- indique un mouvement vers le bas, comme celui des sirènes décrites par la mythologie grecque, créatures mi-humaines mi-animales dont le charme extérieur attire les marins vers les profondeurs et leur perte. L’ombre de ce mythe plane au-dessus du traumatisme familial : c’est le sentiment d’engloutissement qui prime.

Comme elle l’opère régulièrement dans son travail, Camille Benarab-Lopez entremêle une recherche sur la blessure sociale, une attention aux récits collectés et un fort intérêt pour le signe sous toutes ses formes. L’exposition est chapitrée sur le modèle d’un texte en trois parties, chacune introduite par une enseigne lumineuse : « Falls », « Scars » et « Sirens ». Ces signes peuvent être des stigmates de douleur, mais aussi des trophées de guerre ou des emblèmes de courage et d’amour. Ils peuvent également constituer les jalons d’une structure narrative pour une histoire qui finit toujours par marquer les personnes d’un sceau indélébile : la chute (« Falls »), la blessure qui lui survit (« Scars »), et enfin l’appel d’un autre horizon (« Sirens »). Pile de documents épars, inscriptions gravées sur des paysages vaporeux, mains nouant des nœuds, graphèmes issus d’un alphabet rare, blessures bordées de fleurs : Le réel et la fiction ne s’opposent pas de manière dichotomique mais se fondent dans un ensemble complexe de symboles. L’album de famille, avec son lot de non-dits et de secrets, se donne par énigmes visuelles comme pour rappeler que l’image du souvenir compte plus que les souvenir lui-même. En d’autres termes, les relations sont aussi affectives et imaginaires et nous réalisons, sans le savoir, les projets d’autres vies que la nôtre. Au début du roman, Judd, le benjamin des Mulvaney, évoque en effet en ces termes un évènement familial qui s’est déroulé à une date précédent sa naissance « Aujourd’hui encore, je jurerais que j’étais là. »

Elora Weill-Engerer

Complément d'information

Née en 1989 à Paris, Camille Benarab-Lopez est diplômée de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs (2014) et de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris (2018).  Camille Benarab-Lopez explore notre rapport à l’image, sa temporalité et sa planéité, dans une approche tant picturale que sculpturale. En réponse à un monde où « les contenus ne sont que des images de plus », qui se multiplient et s’immiscent jusque dans l’espace intime, l’artiste a vocation à contenir, conserver et enserrer le flot d’images envahissant à l’aide d’assemblages par correspondances ou dissonances. Impressions, transferts, recompositions, ajout ou retrait de matière, elle leur donne une consistance nouvelle par une série d’actions diverses, tissant une narration en pointillés. L’image se perd et se crée, se transforme au gré des médiums et des techniques, contrariée et fragilisée par les étapes successives de sa construction. Dans un surgissement, elle apparaît au monde de manière nouvelle, plurielle et sensible, se donnant au spectateur comme un espace illusoire à déchiffrer.

Adresse

GALERIE CHLOE SALGADO 61, rue de Saintonge 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 8 mai 2024